Le torse nu et d'un pas assuré, la clope au bec, le capitaine Willard s'approche des stores vénitiens et lentement les soulève. La lumière du jour tombant vient l'irriguer de sa lumière. Il dissèque d'un regard silencieux la vie qui mollement s'agite à l'extérieur. Puis « Saïgonne »vient phonétiquement résonner dans la bouche de notre héros. À lui Saïgon, à moi Hô-Chi-Minh. Lieu commun et époque différente. À nous deux, le souvenir immortel d'un instant d'Apocalypse au Vietnam.
Malgré cette introduction peu flatteuse du Vietnam et bien que l'architecture de Saïgon dans
laquelle se mélangent des influences de tout genre et de toutes époques ne nous satisfasse qu'a moitié, l'ami Flo et moi avouons sans peine être absolument subjugués par les Vietnamiens et le spectacle fabuleux de leur vie quotidienne qu'ils offrent à nos yeux. L'effervescence d'une vie qui s'affaire à chaque coin de rue, où vendeur de beignets et Cyclo-pousses se côtoient dans l'harmonie des sourires qui
s'échangent. On peine à croire que le communisme puisse être responsable d'une telle douceur de vivre.
La chaleur moite qui règne ici transforme petit à petit ma chemise en serpillière. À cet inconfort s'ajoute une pollution de tous les instants provoquée par
les hordes de scooters qui pullulent dans les allées de la ville. À notre programme aujourd'hui culture et la visite du Palais
de réunification. C'est ici que le 30 avril 1975 a eu lieu la réunification entre la République du Vietnam et la République démocratique du Vietnam. De cela, aujourd'hui, il
ne reste que le Vietnam.
Hasard du calendrier ou mauvais timing de l'équipe d'organisation, toujours, est-il qu'à notre arrivée c'est une porte close que nous trouvons. On se
regroupe, et on se réorganise. Le plan est le suivant Flo s'engouffre à droite et s'en va traîner sa nonchalance au musée de la guerre quant à moi, c'est vers la gauche que
je disparais en direction d'une librairie française à la recherche de quelques bonnes lectures. Notre réunification a nous aura lieu aux environs de 13 heures, heures
locales, là même où nous nous séparons.
J'oriente mon plan, au sud, à l'est enfin après trente minutes, je ne suis plus qu'à quelques encablures de la librairie Nam Phong dans laquelle j'espère trouver quelques
pépites. Encore une route à franchir et j'y serai. Cependant, le flot incessant des deux-roues que vomissent les artères de la ville m'interdit l'accès
au précieux. Je me tiens sagement sur le côté, attendant comme Jean-Claude Duss l'ouverture. Il faut vous expliquer
que la traversée d'une route ici requiert une grande maîtrise de votre stress et que l'absence quasi-totale de signalisation rend périlleuse chacune de ces entreprises. Élancez-vous d'un pas aussi lent, priez un peu et avancez. Tout le succès réside ici dans la capacité d'esquive des pilotes. Pas sans risques,
mais surprenants. C'est à moi de jouer maintenant, j'observe sur ma gauche cette chorégraphie à 4 temps et oscille entre le : « Allez maintenant » et
le « non pas tout de suite ».
M' apprêtant à passer, mon regard se fige sur l'un de ces deux-roues noyé dans la masse qui fonce vers moi. Je remonte sur ma berge, me pensant à l'abri. Arrivée à ma hauteur, le passager arrière sans même dire merci se saisit de ma sacoche et l'arrache. Puis, non pas dans l'heure, non pas dans le quart d'heure, non pas dans la minute, mais dans la seconde mon cerveau m'indique que je viens de me faire voler. Je lui demande aussi sec de dire aux jambes de se mettre à courir. Elles s’exécutent. Une folle course poursuite semble s'annoncer jusqu’à ce que nous recevions un contre-ordre des yeux, qui observant la fumée du scooter déjà bien loin s'exclament : « Trop loin ». Après ce sprint d'au moins vingt mètres, mes poumons viennent mettre en relief ma performance et s'expriment à leur tour : « OUF ». Vite nouvel ordre, cerveau dit à la bouche de crier et miracle, je crie " Help, I' ve been stoled !!" Pour toute assistance, je ne reçois que le sourire d'un viet qui passe par là. C'est toujours ça. Connement et un peu soulagé que mon cerveau n'ait pas demandé à mon sphincter de se relâcher, je lui souris en retour.
Je me tiens donc planté là comme deux ronds de flan, pourtant, c'est bien moi qui viens de se faire gober et pas qu'un peu. Tout ce que j'arrive à dire tient en trois mots : « Putain, fait chier ». Va falloir faire mieux. Appeler la police, serait un bon commencement. J'aperçois dans le hall d'un immeuble un gardien équipé d'un costume Sécuritas. C'est une option, je la prends. Le mec sympa décroche son 06 et tente de joindre le Navarro local. Visiblement, c'est au client de se déplacer, il n'y aura pas de consultation à domicile. Le tout est de maintenant s'organiser. De plus, ma carte bancaire dans les mains des bandits, va pas falloir faire le Suisse pour faire opposition. Je m'active sur l'ordi local, une vieillerie à l'écran aussi plat qu'une femme au bord de l'accouchement et dont le système d'exploitation intéresse certainement les archéologues de la Silicon Valley. Sans succès, j'abdique, remercie mon hôte pour son aide et m'en vais le pas rapide retrouver Flo.
Chemin faisant, je dresse un bilan de ce qui est à jamais perdu. Rigide et rigoureux comme un Allemand, j'énumère les pertes administratives :
une carte bancaire, ma carte d'identité, mon permis de conduire, ma carte plus si «Vitale» que ça maintenant, et pour finir mon carnet de vaccination. De
toute façon trop tard, j'ai la rage. Moment de joie dans cette spirale cacateuse quand je réalise que mon passeport est resté à
l'hôtel.
Au niveau de la thune, je venais juste de retirer deux millions de Dong soit cent cinquante euros. Je cherche à positiver en me disant que ces deux
nt de me voler n'ont pas perdu leur journée. Niaisement content, je souris de mon malheur.
Reste maintenant le pire les effets personnels, l'affectif en somme. Un bâton de bois sculpté avec la précision d'un horloger chinois fabricant une
Rolex de contrefaçon par mon ami Félix. Une flopée de gadgets offert par Anne-Lise et qui m'était d'une aide incroyable. Enfin, le pire pour finir, ma liste. Dix ans déjà que j'avais couché sur une ordinaire feuille A4 une liste de 99 choses à faire dans ma vie. Avec le temps, cette feuille était devenue un lambeau de fierté qui ne me quittait pas. 99 rêves égoïstes disparus à jamais.
J'approche enfin du palais, dans mon viseur soulagement, j'aperçois l'ami Flo qui patiente. Je lui explique ma mésaventure, il en n'est presque plus désolé que moi. J'appréhende l'officier Lee qui passe à deux pas de nous. J'inonde
les esgourdes de mon interlocuteur de l'histoire du touriste occidental à qui on a fait les fouilles. Alors, dans un souci de réhabilitation de l'honneur national, il
arrête un taxi et lui intime l'ordre de m'emmener moi et mes poches vide au commissariat le plus proche.
Arrivé à bon port, j'adresse mes remerciements les plus sincères à mon chauffeur et constate qu'il attendait un salaire visiblement plus conséquent. Vu que
je suis toujours incertain dans l'usage de mon vietnamien, je mime la scène de mon vol espérant une pointe d'empathie. Mon jeu d'acteur n'a pas non plus convaincu mon
chauffeur. Pas de talents, pas d'argent, je tente le don. Il me reste quelques bricoles qui me permettront de sortir de cette impasse.
On commence avec un joli lot de Stickers jaunes fluorescents, mais il trouve ça sans intérêt. Des pilules pour purifier
l'eau, non plus. Un joli sifflet avec boussole incorporée, c'est pas mal quand même. À nouveau, il hoche la tête «
Nâ, Nâ » et je suis déjà à cours d'articles de qualité dans ma besace. En même temps, j'aurais eu le
sac de Sport Billy que je n'aurais pas plus de triomphe. Je suis désolé de voler à mon tour cet honnête travailleur, mais je me décide bien que reconnaissant de quitter la
voiture.
Au poste, je suis reçu par un jeune officier dont le visage rondouillard indique que sa performance en course-poursuite n'aurait pas été meilleure que la mienne. Son anglais qui n'a de pire que mon vietnamien rend l'audition impossible. En bon professionnel, il appelle mon hôtel, me tend trois formulaires. Nouvelle procédure donc, je rentre à l'hôtel, remplis les formulaires puis retournerai ensuite accompagné de la propriétaire pour finaliser ma plainte. J'espère
ensuite ne pas devoir nettoyer les écuries d' Augias. Maintenant que je suis retourné à l'hôtel, que les formulaires sont remplis, on enfourche le scooter et retour à la
case police.
Retour au poste, on patiente sous une chaleur écrasante qui finit de me vider de toute énergie. Après quelques minutes d'attente, c'est à nous.
N’étant ni coutumier des auditions, des dépositions et autres calvaires policiers, je réponds aux questions avec l'entrain d'un végétarien qu'on
enverrait au Macdo. Une lumière, pourtant, vient éclairer notre échange lorsque l'officier me demande à quoi ressemblaient mes
assaillants. Ma réponse, deux Asiates sur un scooter. Déjà sans espoirs, ce constat me condamne.
Après deux heures, le calvaire prend fin. Je m'octroie la douceur de quelques mousses en guise de réconfort.
Dans mon lit, la scène tourne en boucle et je frôle l'entorse des boyaux de la tête.
Bien que je ne me sente pas effondré par cet épisode, je réalise que je suis plus méfiant qu'à l'habitude. J'avance le menton collé au torse.
Je renvoie dans les cordes les Vietnamiens et leur gentillesse à chacune de leurs approches. Les jours se suivent et mon humeur ne change pas.
D'un coup d'un seul, je réalise que le pire ce n'est pas ce qu'ils m'ont pris, non le pire, c'est ce qu'ils te donnent : la peur, la méfiance, l'angoisse,
la paranoïa, les névroses et la psychose. En voilà, des raisons qui incitent à rejoindre le côté obscur. Si c'est pour voyager de la sorte, autant
rentrer en France, grossir les rangs des moutons aigris et regarder TF1. En mon for intérieur, je sais qu'il va falloir se remettre à l'endroit.
Après quelques jours d'une automédication à base de pizzas, hamburgers, je décrète qu'il est temps d'aller mieux.